Il y a eu…

Posté dans Capharnaüm
le 22 juin 2015

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Il y a eu cet appel, de l’autre bout du monde, pour m’annoncer cette nouvelle incroyable, l’excitation, le bonheur et la peur. Il y a eu des centaines de messages échangés, pour calmer mes peurs, m’apaiser et me préparer : oui, ils ont vieilli, ils ont changé, il ne me reconnaitra peut-être pas, elle risquera d’avoir les idées embrouillées. Il y a eu cette joie immense de ne plus être la seule de cette famille en France, de pouvoir dire « Oui, je vais voir mes  grands-parents ce week-end, ma famille ! » et d’en sourire, de ne plus me sentir si seule et de crever d’envie de sauter dans un avion pour être enfin auprès des miens. Il y a eu l’attente, avant leur arrivée, puis avant mon départ pour ce petit village perdu dans les Vosges.

Il y a eu ce trajet en train, interminable et terrifiant, cette boule au ventre de ne pas savoir comment j’allais les retrouver, dans quel état. Il y a eu les paysages qui défilent, totalement inconnus et cette frustration de ne pas avoir de souvenirs plus précis de ces montagnes. Il a eu ce changement à Nancy, en coup de vent, puis ce petit train qui roulait lentement entre ces villes qui m’évoquaient des choses plutôt floues. Lunéville et les jumelles-momies qui me terrorisaient, les montres qui parlent et les repas familiaux interminables quand on a 7 ans. Baccarat et sa poupée de cristal qu’on allait voir chaque année, et l’immense lustre dans la petite chapelle, les boutiques magnifiques où ma grand-mère rêvait en soupirant « ah, si j’avais les moyens » et le petit bracelet en cristal qu’elle m’avait offert pour mon anniversaire. Etival-Clairefontaine et son immense usine de cahiers, le camping où on allait tous les étés, le petit étang où je pêchais avec lui, la forêt de sapin où l’on cueillait champignons et myrtilles et les nuits dans la caravane du bonheur. Puis Saint-Dié, enfin, la petite gare, le quai désert, et au loin, la silhouette que je reconnaitrais entre 1000, la veste rouge impeccable et le sourire de ma grand-mère. Il y a aussi eu à l’écart, assis sur un banc, mon grand-père, son dos vouté et son regard si vide. Les larmes de pouvoir les serrer contre moi et de me dire « Enfin ! Enfin ! Deux ans, c’est trop long ! »

Il y a eu cette route que l’on ne reconnait plus, la forêt dans laquelle on rêverait de s’échapper et puis cette petite maison vieillissante, celle au toit le plus haut de tout le village. Cet escalier en bois immense, ce salon qui me semblait si grand quand j’étais enfant, et cette cuisine rudimentaire, comme arrêtée dans le temps. Il y a eu ce joli jardin, le grand potager et les roses trémières, le coin des framboises et des groseilles qui colorent les doigts et les joues. Il y a eu ces puzzles partout sur les murs qui me rappelaient ironiquement les bouts de mémoire que mon grand-père perd.

Il y a eu le silence de cette grande maison que la vie quitte au fil des ans, les secrets échangés, les histoires du Guatemala, les souvenirs vieux de toujours que l’on se raconte en souriant, que l’on connait par coeur mais que l’on chérit. L’usine de textiles, la fabrique de couverts, la vie en cité, les 4 enfants à élever et les réveils à 4h du matin. La vie plus douce à la Casa Chipie, l’arrivée de mes soeurs et moi, le soleil du sud et les grandes bassines dans lesquelles on pataugeait l’été. Il y a eu ces souvenirs de vêtements tricotés, de cavalcades en vélo, de tomates du jardin et des petits pois que l’on mangeait crus quand le grand-père ne nous regardait pas. Les confessions de bêtises datant d’il y a 20 ans et son regard rieur bien qu’un peu perdu. Il y a eu ces photos sur le buffet, celles qu’on connait par coeur et qui tirent des larmes parce qu’on ne les avait pas revues depuis des années.

Il y a eu les mains de ma grand-mères et le regard vague de mon grand-père, leur amour, leur lien si fort, la main de mon grand-père qui cherche irrémédiablement celle de ma grand-mère, ses doigts qui la serrent, serrent, serrent, comme si elle allait partir. Comme si c’était le seul lien qu’il avait encore avec la réalité. Il y a eu cette question qui m’a fait battre le coeur un peu trop fort « Et elle, tu te souviens de son nom ? » et ces 3 secondes interminables où tu pourrais t’effondrer. Il y a eu ce « bien sûr, c’est Célina », comme un regain de lucidité qui m’a tiré quelques larmes et a gonflé mon coeur. Il y a eu ce « Bonne nuit papi ! Bonne nuit mamie ! » et l’intonation que j’avais quand j’étais gosse, la surprise de retrouver ça aussi naturellement, sans y penser. Il y a eu ce moment, comme chaque soirs avec eux, où elle m’embrasse tendrement en me touchant la joue. « Bonne nuit ma douce ». Il y a eu cette chambre aussi arrêtée dans le temps, les draps jaunis, la couverture qui gratte et les larmes enfin, pour relâcher la pression.

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Il y a eu ce petit déjeuner calme, les mains qui tremblent, les cachets que l’on oublie, le thé qui soigne tout et les habitudes retrouvées. La goutte de lait dans le café et l’amour partagé pour la confiture de mirabelles. Il y a eu ce jeu de Dames qui appartenait à mon père et qui a tant voyagé, avec lequel on jouait pendant des heures avec mes soeurs et mes grands-parents, ces parties de Dames que mon grand-père me laissait gagner, et notre façon de jouer aux petits chevaux et de dégommer les pions gagnés d’un grand « Eeeet hop ! ». Il y a eu ce petit tour dans le jardin, le nez dans les roses et la lavande, l’herbe qui pique les pieds, les framboises volées et les groseilles transparentes et toutes sucrées. Il y a eu ce petit moment, rien que nous deux, comme quand on s’échappait dans les vignes en tête à tête, à vélo. Il y a eu mes mains pleines de fruits, cueillis pour lui, pour qu’il se souvienne lui aussi. Il y a eu ses mains hésitantes, son regard flou touché par l’attention et son sourire. Il y a eu ce moment dehors tous ensemble, moi allongée sur l’herbe froide et les discussions sans fin. Il y a eu l’herbe qui pique la peau, qui gratte et sur laquelle on se concentre pour ne pas regarder l’heure et penser au train qui nous attend le soir. Ce train qu’on redoute et qui nous serre la gorge et le coeur.

Il y a eu ce petit trajet en voiture, mon grand-père assoupi et ma grand-mère s’accrochant à mon sac, il y a eu mes larmes et les gorges nouées, les remerciements à n’en plus finir et les promesses de se revoir vite vite, de lui présenter notre enfant « mais ne tarde pas trop, on sait jamais et j’aimerais tellement le rencontrer », les larmes qui montent et la gare qui approche. Il y a eu ce « putain, je peux pas faire ça », les bras de ma grand-mère et les gros sanglots. Les « arrête, je vais pleurer aussi » et ses yeux tous rougis. Il y a eu le regard si vif de mon grand-père, sa joue qui pique et ses gestes maladroits, les « prends soin de toi Papi, promis, promis ? » et son grand sourire, ses yeux lucides, ce regard d’il y a 20 ans. Il y a eu les portes qui se ferment, le moteur qui redémarre et ce dernier coucou à travers la vitre, les larmes qui explosent enfin. Il y a eu ces « Je t’aime » coincés au fond de la gorge, ceux qu’on maudit de n’avoir pu dire. Ceux qu’on aimerait dire, mais qui ne sortent pas, à cause de la pudeur, cette pudeur totalement stupide. Il y a ces promesses de voyages futurs, pour les retrouver. Mais quand ?

Et c’est ça qui est dur. Parce que je ne sais pas quand je les reverrai, je ne sais pas si je les reverrais. Parce que s’il arrive quelque chose, je serai bien trop loin pour être là à temps, parce que l’autre bout du monde m’est inaccessible et ce flou qui m’entoure me rend dingue. Il y a eu ce train qui roule en bordure de forêt, ces immenses sapins que je voulais toujours rapporter dans le sud et les larmes qui se calment enfin pour laisser place aux sourires et aux souvenirs d’enfance. C’est vrai, je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je ne sais rien, mais je sais juste que j’ai pu profiter d’eux pendant 24h, ce qui était totalement inespéré. J’ai pu récupérer des bouts de mon enfance en serrant tout contre moi ce plateau de jeu tant aimé, retrouver des goûts familiers en croquant dans les groseilles du jardin, valser avec nos histoires de famille, retrouver de vieilles photos. J’ai pu retrouver quelques heures la peau douce de ma grand-mère et les mains brunes de mon grand-père. Et c’est bien là, l’essentiel, non ?

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13 Comments

  • Reply sandrinesmiles

    Tu nous as écrit là un magnifique article, poignant, touchant, et voilà.

    Je ne veux rien dire de maladroit, et j’éviterai donc de raconter ma propre vie. Je me contenterai de saluer un si bel article, et même si ça change, c’est tellement beau qu’on ne peut qu’apprécier.

    22 juin 2015 at 6:55
  • Reply Chocapic

    Je n’ai pas forcément les mots adéquats pour qualifier l’émotion… Mes émotions à la lecture des tiennes. Mais il y en a eu, beaucoup. Et je suis bien contente que tu ai réussi à l’écrire, et surtout à le publier. Merci bouchon de l’avoir partagé, ça m’a fait du bien de lire tout ça…. :’) ♥ ♥

    22 juin 2015 at 6:59
  • Reply Nan_a_

    Ce soir c’est chialade collective… Ton article est magnifique, chéris ces instants et ces souvenirs.

    22 juin 2015 at 7:04
  • Reply Laurence

    toute remuée par tes mots … Une magnifique déclaration d’amour <3

    22 juin 2015 at 7:18
  • Reply Djahann

    Ouf ! Je suis toute émotionnée d’avoir lu ce si beau texte. Je m’y retrouve pour les souvenirs mais j’ai la chance d’être pas trop loin de ma chère mamie.
    Je te souhaite d’y retourner très vite

    22 juin 2015 at 7:21
  • Reply Clumsy

    <3 <3 <3

    22 juin 2015 at 7:51
  • Reply Gaëlle - LeDoubsHibou

    Une magnifique histoire si bien racontée … J’espère que ta mamie et ton papy iront bien et que tu les reverra bientôt :)

    22 juin 2015 at 7:59
  • Reply cherrylou

    Une pensée et plein de tendresse pour toi ♥

    22 juin 2015 at 8:28
  • Reply Desmobetty

    Moments précieux …

    23 juin 2015 at 4:44
  • Reply Sarrousse

    Et beh, tu m’as mis les larmes aux yeux. Bravo pour ton bel article <3

    23 juin 2015 at 10:48
  • Reply fizette59

    J’ai vraiment eu les larmes aux yeux en le lisant <3 <3 c'est magnifique et plein d'émotions <3 J'espère que tu pourras les revoir très vite <3

    23 juin 2015 at 2:47
  • Reply By Women for Women

    C’est si joliment écrit! <3

    23 juin 2015 at 6:47
  • Reply Sylvie (Une vie toute simple)

    Ce billet est magnifiquement écrit et tellement rempli d’émotion. On sent à quel point tu les aimes…

    30 juin 2015 at 6:09
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