Il y a quelques années, alors que j’avais tout juste 23 ans, j’emménageais avec Robert, 96 ans, en colocation. Après avoir été interviewée par lePlus de l’Obs il y a quelques jours, j’avais envie de partager avec vous cette expérience aussi touchante qu’insolite.
Pourquoi se lancer dans une colocation avec une personne âgée ?
A l’époque, j’étais une petite étudiante boursière et fauchée qui arrivait à Paris pour son stage de fin d’études. Et inutile de vous dire que je n’avais pas 500e à mettre pour un studio miteux de 9m2. En arrivant en milieu d’année, je n’avais pas réussi à trouver une place en cité universitaire. L’idée de la colocation est venue d’elle-même, mais en regardant les loyers, là encore c’était bien trop pour moi. Puis j’ai entendu parler du Paris Solidaire, qui proposait des colocations avec des personnes âgées, avec des loyers modérés. J’ai donc foncé. Après un rapide entretien, j’ai été mise en relation avec Robert, 96 ans, qui vivait dans une jolie et grande maison proche de la Défense. Et j’ai foncé ! Pour 300e par mois, j’avais une qualité de vie dingue, dans une grande maison avec jardin, au calme et jamais je n’aurais pu trouver mieux !
Comment ça se passe ?
Et bien, tout naturellement ! Je vivais avec Robert et une autre demoiselle. A chacun son espace, on partageait simplement la cuisine ainsi que la salle de bain. Tout était fait pour que l’on se sente chez nous.
Je sais que vivre avec une personne (si) âgée peut faire peur, mais c’est vraiment une expérience intéressante ! Robert avait une forme olympique pour son âge et n’avait pas vraiment de problèmes de santé. Il était totalement autonome et n’avait pas besoin de nous. Evidemment, on l’aidait régulièrement à faire ses courses, porter des choses lourdes, etc, mais rien de plus. Tout était naturel, relevait du bon sens et de quelques règles de politesse. On l’aidait s’il en avait besoin mais nous n’avions aucune obligation sur les épaules.
Robert parlait beaucoup et aimait être entouré, c’est pour cela qu’il a voulu se lancer dans l’aventure. Parce que la solitude tue à petit feu. Il nous imaginait comme des petites abeilles virevoltant et ça lui faisait du bien. En rentrant du travail, on lui racontait notre journée, nos expériences et nos sorties et lui souvent nous parlait du siècle qu’il avait traversé quasiment de part en part. C’était toujours touchant.
Et la liberté ?
On était libre de faire ce que l’on voulait ! Evidemment, par respect, on évitait la musique à fond et de recevoir beaucoup de monde, mais ce mode de vie de m’a pas entravé dans ma vie parisienne. Je sortais quand je le voulais, je pouvais rentrer tard ou découcher (je le prévenais pour ne pas qu’il s’inquiète, il était très protecteur), je batifolais dans le jardin si je le voulais ou pouvais m’enfermer dans ma chambre pendant 3 jours sans que ça ne pose de problèmes.
Je dois avouer qu’au début, j’ai eu peur de me retrouver confrontée à la dépendance, d’avoir à le gérer et de ne pas savoir comment m’y prendre. Robert avait une auxilière qui venait tous les jours et s’occupait de tout, c’était super pour lui. J’ai eu aussi peur de la maladie (ou bien pire, avouons-le), mais il était très robuste et en cas de gros problème, l’association se serait occupée de nous reloger. C’était rassurant de se savoir entourée.
Ce que ça m’a apporté
Etre parachutée seule à Paris, sans trop de vie sociale, c’était pas forcément évident. Même si je suis de nature solitaire et casanière, j’appréciais de pouvoir rentrer dans une maison accueillante où je n’étais pas seule.
J’avais déjà vécu en colocation de plusieurs fois, et je finalement ce modèle un peu atypique me convenait mieux. Ici, pas de soucis de « t’as pas fait les courses », « tu laisses trainer tes chaussettes sur le canap' » ou « c’est ton tour de faire la vaisselle et passer l’aspi ». C’était aussi plus sain : pas de squat dans ma chambre quand j’étais pas là, du calme, pas d’intrusion ou de potins, pas de gamineries… Bon, j’ai eu des colocs plutôt particuliers et des expériences désastreuses (cleptomanie, mythomanie sévère, si vous saviez ce que j’ai vu…). Tout se gérait simplement, chacun rangeait ses choses et s’occupait de ses affaires. Aucun conflit, aucune tension par rapport à l’organisation. Notre relation se basait sur le respect et la confiance.
Tout ça m’a apporté un regard plus doux et bienveillant sur les personnes âgées et j’ai appris à tordre le coup à certains clichés sur la vieillesse. J’étais plus disponible, plus bavarde, peut être un peu plus douce, parfois plus patiente et diplomate. J’ai aimé écouter ce vieux monsieur me raconter sa vie de pompier à Paris, les changements du siècle, ses expériences. C’était hyper enrichissant mais ça m’a aussi énormément culpabilisé : j’en ai appris plus sur Robert en 6 mois que sur mes grands-parents. Ca m’a d’ailleurs permis de me rapprocher d’eux et d’être encore plus curieuse à leur égard.
Et si c’était à refaire ?
Je re-signe sans aucune hésitation. C’était une jolie expérience, j’ai énormément appris sur moi-même et j’en garde un souvenir ému. Je conçois tout à fait qu’une colocation avec une personne âgée ne puisse pas paraitre hyyyper excitant comme aventure, et que ça puisse même parfois faire peur, mais lancez vous ! Vous mettrez de côté la solitude et la monotonie dans la vie d’une personne âgée et apprendrez beaucoup sur vous et sur la vie !
Si le sujet vous intéresse et que vous avez des questions, n’hésitez surtout pas, je me ferais un plaisir de vous répondre. Et si vous le souhaitez, vous pouvez retrouver mon interview sur lePlus ici : Discussion, partage, confiance : le meilleur coloc que j’ai eu, c’est Robert, 96 ans.

